Maman Sourire.

L

E ciel était lourd de nuages, mais aussi de menaces pour Hideous Mind. De menaces ? Peu importait. Il ne craignait pas les avertissements, même célestes. Hideous Mind marchait donc d’un pas nonchalant en direction de l’Usine colossale, insensible aux nues ténébreuses. Le sol était jonché d’ordures que le chat noir évitait avec appréhension. Décidément, il va falloir que je sache pourquoi je suis venu ici. Il soupira. Pour rien, bien sûr. Je suis un chat errant, se dit-il. Peu à peu, ses pas le rapprochaient du bâtiment désaffecté.
A présent en face de la grille, il lorgna à droite, puis à gauche. Cet endroit était désespérément vide, et c’était aussi bien comme ça ; la solitude lui plaisait tout autant. Il se faufila habilement entre les barreaux rouillés de la grille, sans un bruit. Le chat se délecta du silence qui régnait en ces lieux. Tel une ombre, à peine visible dans la semi obscurité, il trottina à toute allure, traversant un parking désert. A sa gauche, une épave de voiture gisait, sans pneus. Son regard s’illumina. Changeant de cap, il accosta la carcasse avec l’enjouement d’un chaton face à une baballe. Ses yeux pétillaient. Il frémissait à la vie de l’antique Renault, dépourvue de vitres. Le nègre bondit dans la voiture, atterrissant sur un siège grinçant mais si... attirant. Il ronronnait, tâtant le tissu rugueux de l’assise. Confortablement installé, Hideous Mind se toiletta avec un plaisir non contenu.
Bientôt, son ventre émit d’étranges sons. Cela faisait deux jours qu’il n’avait pas mangé, errant au gré de ses pattes dans les ruelles de la ville. Mais il n’en fit pas cas. Rien ne pouvait gâcher ce moment de pur bonheur, imprégné de souvenirs doucereux et pourtant lancinants. Sous ses coussinets, les mailles rêches du siège le faisaient frissonner, et l’odeur que dégageait la voiture brûlait son petit nez. Il était exténué, mais ses sens à l'affut lui conseillaient de rester éveillé. Pourtant, il rendit les armes, bercé par une mélodie venue des limbes de son cerveau...

Le Soleil m'éblouit trop, Maman, je ne vois rien. Attends-moi !
Le petit Hideous Mind sautillait dans l'herbe verte et grasse, miaulant à qui mieux mieux après sa mère qui marchait seule, en tête. Sous le soleil printanier, son poil noir brûlait, et la chaleur, pourtant douce, lui était insupportable. Soudain, une flèche rousse le bouscula, et un rire clair éclata dans l'air. Rosie, sa petit soeur de quelques minutes, venait d'atteindre leur mère en une vitesse record.
Venez, les enfants.
Sa voix était suave, et ses yeux verts si... beaux! Hideous Mind aimait sa mère - non, il l'adorait. Elle aussi les aimait. Elle leur souriait tout le temps, même lorsque les vieilles dames acariâtres la renvoyaient à coup de savate. Maman Sourire. C'était le surnom que Rosie et lui avaient donné à la mère la plus radieuse du monde.
Il les avait rejoint avec empressement. Devant eux s'étendait la fourrière ; des tonnes de ferraille entassées dans un endroit clos et calme. Un vrai paradis pour chats... Maman l'emmenait souvent là-bas. Il y faisait chaud, lorsqu'on savait choisir la bonne voiture. Aujourd'hui, Maman porta son choix sur une petite Berline à laquelle il manquait une porte, et dont le pare-brise était en miettes. Hideous Mind y avait passé les plus belles minutes de sa vie...
Malheureusement, lorsque leur mère sortit pour aller débusquer quelque mulot, elle ne revint jamais. Rosie pleura. Pas lui. Il serra les dents, il tint chaud à sa soeur. Ils étaient désormais seuls face à leur destin.
Prends bien soin de ta soeur...
Ce furent ses derniers mots.

Le sommeil de Hideous Mind fut donc très agité.
Pourtant, ses yeux ne s'ouvrirent pas.
Pas pour le moment.

Attention, petit chose très dangereuse.

Je suis une petite chose blanche et poilue qui se promène.
Vous avez peur, vous, des très petites choses aux très petites dents et très petite griffes ? Non ? Alors pourquoi ils ont peur de moi ?

Grande usine sans bruit, machines rouillées, engrenage immobile dans ce silence si lourd. Les grandes portes cassées de l'usine sont allongées par terre et y resteront encore pour un moment. L'une est effondrée sur le coté et l'autre est à terre, devant l'entrée. Je passe sur l'énorme plaque métallique, pas un grincement, pas un minuscule mouvement ... Je suis décidément très petit et tellement léger.

Je pose une de mes petites patte sur le sol de l'usine en ruine, la poussière s'y est accumulée et se colle sous mes coussinets blancs. Je m'aventure un peu plus loin dans l'usine et découvre des carcasses de machines, de voitures, ... Des cordes et des fils sortent du plafond, des vielles grues dont il ne reste plus que le crochet, des poutres en fer rouillées, des vis et des boulons traine sur le sol.

Quand d'un coup je fut attiré par autre chose que l'infrastructure de l'usine, un bruit de ... Ronronnement ? Cela fait bien longtemps que je n'ai pas entendu cela ... Le bruit semble venir d'une vielle carcasse de Renault. Je décide de m'approcher sans faire peur à l'inconnu, bien que ça ne m'étonnerai pas qu'il prenne la fuite comme tout les autres.